Eau de Lune

La Lune était déjà haute. Mais, parmi les hautes frondaisons de la forêt d'Ashenvale, ça n'avait que peu d'importance.

Deux trolles avaient déjà accepté, et, comme elle l'avait prévu, plusieurs thalassiennes, parmi lesquelles de grandes dames, s'étaient manifesté.

L'elfe femelle progressait en terrain connu parmi la flore sauvage aux tons émeraudes et violines. Malgré sa tenue plus adaptée aux grandes villes des royaumes de l'est qu'aux denses forêts de Kalimdor, elle avançait de façon fluide et silencieuse, sautant d'arbres en arbres ou glissant au travers des larges buissons.

Elle avait appris qu'Halaa serait sur place pour invoquer les gens de la Horde. C'était très bien, cela laisserait tout loisir à la démoniste mannequin de se préparer. Riwalena amènerait son amie pour invoquer les spectateurs de l'Alliance.

La végétation s'éclaircit brutalement. Cela eut surpris un arpenteur novice, mais cette elfe n'était pas de ceux-là. A des lieues de l'image de citadine qu'elle renvoyait en public, elle emergea des hautes fougères avec cette grâce de fauve propre à la race de son père.

Le Puits de Lune caché d'Ashenvale brillait sous l'oeil de la Déesse, calmement resplendissant dans l'obscurité.

Assise en tailleur sur une pierre plate, une silhouette aux yeux jaunes observait la nouvelle venue.

- "Bonsoir, Jaylini Lunesoie" dit une voix de mâle en Darnassien.

- "Bonsoir, frère druide", répondit la métisse.

- "Je ne t'ai pas vue ici depuis ce que les nouvelles de l'est ont appellé "l'affaire Machiavel". Te fais-tu encore porteuse de mauvais augure ?

Le kaldorei ne souriait pas.

- "Non, mon frère. Je suis venue rendre grâce à notre déesse, en toute humilité, en ce lieu que j'affectionne, et lui demander de m'aider à purifier quelques étoffes corrompues".

- "Je ne comprendrais jamais pourquoi notre Mère accorde un regard à une créature comme toi. Tu rends certes quelques services, mais tu demeures irrémédiablement corrompue... S'il n'en tenait qu'à moi..."

- "Peut-être est-ce une bonne chose que cela n'en tienne pas qu'à vous. Maintenant, excusez-moi, les ablutions rituelles sont affaires de femmes. A moins qu'en plus de me manquer de respect, vous souhaitiez faire de même avec notre Déesse ?"

La métisse le regardait de haut. Il se leva, moitié sous la menace voilée, moitié pour lui faire baisser les yeux. Ils restèrent ainsi quelques longues secondes, avec une patience toute kaldorei.

Puis il s'effaça et disparut dans les taillis.

Jaylini savait que le druide ne se risquerait pas à déranger une femelle en plein rituel. Mais elle savait aussi qu'il reviendrait à la seconde même où le temps qui lui était imparti serait écoulé.

Elle n'avait pas le droit à l'erreur.

Elle sortit de son sac les deux fioles qui contenaient les gangrétoffes à purifier et les posa sur la margelle.

Puis elle se dévêtit, offrant son corps gris-bleu à la caresse des rayons Lunaires. Elle libéra ses cheveux, qui dévalèrent son dos en boucles bleutées.

Elle se recueillit quelques minutes, puis entra dans l'eau.

Levant la tête, elle regarda Elune avant de s'immerger complètement.

Comme à chaque fois depuis le bal de l'été, ses tatouages la démangeaient, en contact de l'eau Lunaire. Elle n'en tint pas compte et s'absorba dans sa prière.

- "Elune, Mère de toutes les mères, ne crois pas que je viens ici en voleuse. Je suis ta très humble fille indigne, Jaylini. J'ai aujourd'hui deux requêtes à formuler. La première est de m'aider à remplacer la corruption par ta bénédiction, en sublimant ces gangrétoffes. La deuxième est de ne pas prendre ombrage des deux fioles que je vais dérober. C'est pour une juste cause, pour une créature vivante, et pensante, atteinte d'un mal injuste, et anti-naturel. Laisse-moi lui rapporter ce qui pourra peut-être la soigner."

Sa prière terminée, elle releva la tête, et inhala profondément l'air pur de la forêt. Elle ôta les mèches mouillées qui lui barraient le visage, prit les fioles et les plongea dans l'eau du Puits. Elle se saisit des deux étoffes corrompues et remuantes, et se concentra pour laisser opérer par ses mains la magie divine.

Rapidement, le tissu s'éclaircit pour laisser place à une étoffe immaculée, brillante, où l'éclat lunaire étincellait. Elle les essora alors, remercia la Déesse, et récupéra les fioles pleines, qu'elle reboucha bien vite et enfourna dans son sac. Puis, elle fit plus posément de même avec les étoffes Lunaires.

Enfin, elle commença à se rhabiller, et c'est le moment que choisit le druide pour refaire son apparition dans la clairière, au détour d'un taillis.

La métisse avait beau être une sous-créature, son sang immonde de Bien-Née coulant dans ses veines, il était forcé d'admettre que la vision qui s'offrait à ses yeux était très agréable. Jaylini se rhabillait lentement, son corps baigné de lumière, luisant encore de l'eau du puit. Le pantalon qu'elle venait d'enfiler, la chemise qu'elle venait de remettre ne faisaient qu'empirer les choses au fur et à mesure que l'étoffe légère de l'un et de l'autre s'imbibait d'eau et laissait voir ses formes en transparence.

Ayant décidé de laisser sécher ses cheveux comme ils le désiraient, elle les rejeta en arrière, libres, et fit simplement un sourire au druide qui la regardait avec sévérité avant de grimper prestement à une branche basse et de repartir, tâche luisante de Lune dans l'obscurité.

La Déesse l'accompagne, se dit le druide, et ses desseins sont insondables.

Et il repris sa méditation solitaire à la lueur du Puits.