[Récit - Croisade et Religion] Apocalypse

Nous étions victorieux.
Jamais le souvenir de cet instant ne me quittera. Le Roi Liche gisant à nos pieds, le sentiment de joie se propageant à travers tous les combattants encore debout, les peuples mortels réunis venaient de terrasser le Mal. Et pourtant, malgré mon coeur qui s'emballait, je ne pouvais sourire, des larmes presque instantanément gelées tentaient de s'écouler le long de mes joues.

Alors que tous pensaient à la grande célébration qui suivrait, mon esprit s'attardait sur les centaines de milliers de personnes qui ne pourraient fêtées avec nous. Azeroth avait payé le prix de cette victoire, dépeuplée, meurtrie, scarifiée, en train de dépérir. Certes, le Cercle Cénarien aurait tôt fait de trouver une parade. De refaire naître la vie là où la non-mort avait tué. Cela ne suffirait pas. Notre monde porterait les marques de ce morbide spectacle à jamais.Mais plus loin que cela, une autre question se posait sur l'avenir ...

Pour moi, la véritable victoire ne siégeait pas en la mort de Kil'Jaeden, en l'éradication des Dieux Anciens, ou la fin d'Arthas. Non, ce qui importait, c'était cette union incroyable qu'il avait fallu former en plus d'une centaine d'années. Une alliance entre l'ensemble des peuples mortels qui tenait aussi son prix. Les Tisseurs ne tissaient plus, nombre de pacifistes et de pacificateurs avaient été sacrifiés sur l'autel de la haine. Le Soleil accueille leurs âmes et les réconforte, leurs actes n'auront pas été vains puisque derrière moi se tenait alors au minimum un représentant de chaque race.

J'évoquais la question que je me posais alors. Combien de temps cette alliance durerait-elle ? J'imaginais déjà la hache de guerre déterrée, les termes Alliance et Horde reprendre le sens que nous avions eu tant de peine à défaire, les flammes des oppositions entre races attisées par quelques personnes peu scrupuleuses. Par la Lumière, j'étais bien loin d'imaginer le pire, ce qui allait réellement se passer, ce que sans doute jamais je ne pourrais comprendre.



La nouvelle m'avait marquée au plus haut point.
L'assassinat de Tyrande Whisperwind soulevait de nombreuses questions. Parmi celles-ci, l'on pouvait logiquement se demander pourquoi tuer alors que nous étions si peu nombreux. Mais là n'était pas le principal. A proximité du corps de la Grande Prêtresse, un symbole propre aux suivants de la Lumière ainsi qu'un totem associé à l'élément Feu avaient été retrouvés.

Cet événement, peut-être le plus fort, venait s'ajouter à la longue liste d'actes incompréhensibles recensés dernièrement. Les murs de Silvermoon avaient été marqués, par la magie des Ombres Oubliées, de phrases condamnant la Lumière du Soleil. Des poupées Vaudoo qui apparaissaient mystérieusement dans les lieux de culte sacrés. Deux exemples parmi tant d'autres qui ne portaient qu'un nom: Profanation.

J'avais pris le temps de réfléchir quand d'autres s'offusquaient devant les sacrilèges. Qui pouvait jouer à ce jeu dangereux, qui s'amusait à heurter les sensibilités des centaines des dévots, et surtout, pourquoi le faisait-il ? Hélas, si une bonne réflexion donne toujours des réponses, celles-ci surviennent souvent trop tard. Déjà un membre de la garde m'appelait à me rendre sur les remparts de la cité. Je n'avais pas besoin de voir pour ressentir ce qu'il se passait, tellement les sentiments de haine et de colère pulsaient à la lisière de la forêt.

Jamais je n'aurais cru entendre les mots "hérétiques", "purification" ou encore "damnés" prononcés en Darnassien de la bouche des douces Prêtresses d'Elune. Jamais plus je n'aurais pensé sentir le choc d'armées, Tauren et Kaldoreï réunies, chargeant aveuglement la porte principale de Silvermoon. Classifier cette bataille de massacre serait trop faible face à l'horreur qui s'en dégagea. Ils combattirent tous jusqu'au dernier, il n'y eut pas de retraite, pas de négociation, pas de prisonniers. Seuls la haine et un fanatisme nouveau animaient les partis en présence. Témoin impuissante, je devais soigner mes pairs tout en pleurant les morts de toute cette folie.

Ce ne fut, hélas, que le commencement. En plus de Stormwind prise d'assaut, elle aussi, par les dévots d'Elune, d'autres groupes, d'autres religions, mêmes les plus pacifiques d'apparence prirent exemples et partirent en croisade contre des supposés agresseurs. En moins de temps qu'il ne le fallait pour le dire, les feux de la guerre se ranimaient. Jamais personne n'aurait pu les arrêter. Devenus aveugles, harangués par des Prêtres qui ne portaient plus aucun message de paix, ils se confrontèrent tous pour anéantir ceux qui ne croyaient pas comme eux.



Jamais personne ne les arrêta.
Il ne resta bientôt plus que des cendres. Une dévastation sans précédent dans des batailles qui n'avaient aucune raison d'être politiquement. Les mortels ne s'étaient pas entretués pour des territoires ou des ressources, ils n'avaient eu que des motivations émotionnelles. Leur religion, leur croyance, opposée à celle des autres. Etait-ce leurs dieux qui les avaient conduits à cela ? Dans ce cas ils ne méritaient plus qu'on croie en eux.

Ô Soleil éternel, qui nous inonde de ta Lumière, c'est à toi que s'adressent ses dernières lignes. Toi et tous les autres, qui avez laissé faire tout cela en vôs noms. Elune, les Loa, les Elements, la Lumière, l'Ombre, sont tout coupables aujourd'hui de la disparition de la quasi-totalité des mortels habitant Azeroth. Pour la première fois de mon existence, je juge et j'applique sentence. Ce matin, je ne me suis pas réveillée pour t'honorer à ton lever Soleil. Ce matin, je ne me suis pas réveillée Prêtresse, mais bel et bien Elfe de coeur, d'âme et de corps.

Je regarde ce Troll qui se lève à côté de moi et je garde espoir de reconstruire peut-être un monde nouveau au creux de ses bras. Un monde dans lequel nous vivrons libres et heureux, sans contraintes, ni dogme. Un monde dans lequel toutes ces religions sans sens auront été brûlées par le Néant et où l'amour seul régnera en maître.

Zaphira de Grapeshire,
ex Anachorête de l'Aldor,
ex Grande Prêtresse de Silvermoon,
Simple Elfe de Sang



Dans les décombres d'Undercity, Varimathras se permit un sourire.
Devant lui, l'orbe de vision montrait l'étreinte d'un Troll et d'une Elfe qui venait de terminer d'écrire. Pauvre idiote, si seulement elle se rendait compte que la disparition de sa Foi signifiait la perte de sa fertilité. Elle ne pourrait donner la vie sans plus croire en un symbole de cette vie. L'Ombre et la Lumière venaient d'échouer, au nom du Néant dont la Légion Ardente n'était finalement qu'une facette. Il venait de remporter la victoire définitive sur Azeroth.